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Nouvelle 'ancienne'

Publié le 2 Octobre 2016 par latruffe.lg@hotmail.fr in Nouvelle




Chérie...

Son sourire qui illuminait son visage tout à l’heure, me devint insupportable. Je savais qu’il allait la retrouver. Je décidai de le suivre à pied en lui laissant une avance suffisante pour ne pas me faire remarquer. Je le vis entrer dans l’immeuble au bout de notre rue dont certains locataires étaient des immigrés. J’entrai à mon tour, l’endroit était sombre, la minuterie ne fonctionnait pas, l’ascenseur était en panne ; sur ma droite une porte donnait accès aux caves, à gauche des écritures cyrilliques et des tags ornaient les murs. Voilà trente ans qu’il m’avait juré fidélité ! Comment avais-je pu être aussi naïve ?

Toutes ces jeunes filles aguicheuses sur les affiches, dans les magazines et dans la rue attiraient les hommes mûrs et les médias reléguaient les épouses dans la catégorie séniors quand les publicitaires se disputaient un marché florissant. J’en étais là avec mes pensées quand j’entendis quelqu’un descendre ; paniquée, je me précipitai vers la sortie. Je traversai la rue rapidement, la circulation se faisait plus dense à cette heure de débauche, la pizzeria ambulante stationnée sur la place me donnait le menu de ce soir. Deux personnes me précédaient, j’en profitai pour surveiller l’entrée de l’immeuble situé à cent mètres environ : cinq étages, le crépi défraîchi, toutes les fenêtres identiques, seuls les couleurs et les motifs des rideaux les personnalisaient. La nuit tombait rapidement en cette fin d’octobre, l’air se rafraîchissait. Le mauvais éclairage de la ‘Grande rue’, le pauvre chien sans collier qui venait renifler mes chaussures et les jeunes qui riaient un peu plus loin ne faisaient qu’accentuer mon humeur morose. Le pizzaiolo m’interpella : - Alors ma p’tite dame, qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? - Une royale s’il vous plaît. - Une royale ! C’est parti ! s’écria-t-il.

Je sentis une main sur mon épaule, Marc me surprit, je sursautai. “Bonsoir Chérie, bonne idée la pizza, tu ne m’embrasses pas ?”

Je me demandai s’il ne se fichait pas de moi, j’avais envie d’exploser, de le plaquer là, de le claquer, de m’enfuir... où ? Je restais plantée en souriant bêtement et en remerciant le vendeur qui me tendait la pizza. “Laisse chérie, je vais la prendre, c’est très chaud”

J’avais dû rêver ou sauter un épisode, je ne comprenais pas son attitude. Comment pouvait-il se montrer si prévenant en faisant semblant de rien ? J’étais en colère, mes idées s’entremêlaient. Je m’étais peut-être emballée un peu vite, je n’aurais pas dû essayer de le suivre d’autant que je n’étais pas plus avancée. Il fallait absolument réfléchir à la façon dont j’allais m’y prendre pour réunir un maximum de preuves sans éveiller son attention. Au programme de ce soir, ce serait pizza et match de foot à la télé que Marc n’aurait manqué en aucun cas. Qu’il s’agisse de la Coupe des coupes ou la Coupe des clubs champions, je n’y avais jamais rien compris et m’en fichais pas mal. J’allai me coucher et passai une nuit blanche.

Le lendemain matin, j’arrivai au bureau avec une drôle de tête, le directeur m’en fit la réflexion. Je

devais poster un colis en urgence avant midi, une opportunité qui me permettrait de faire un passage devant l’immeuble de la ‘Grande Rue’. Je disposais de plus d’une heure pour mener ma petite enquête si tout allait bien, façon de parler, parce que moralement c’était pas le Pérou. Je me sentais trahie, honteuse ou vexée alors que je n’avais rien à me reprocher, bizarre cette sensation... Il était hors de question d’en parler au bureau, et trop tôt pour faire part de mes soupçons à ma meilleure amie et collègue Line, laquelle n’aurait pas cru ni douté une seule seconde de la fidélité de mon cher et tendre. Je déposai le paquet, repris donc la voiture, traversai l’agglomération pour me garer non loin du bâtiment. Au moment d’ouvrir la portière, j’entendis sur mon portable la musique de Sinsemilia « Tout le bonheur du monde ». - Allo ? Un p’tit coucou ma chérie, je rentrerai un peu plus tard si ça ne t’ennuie pas, mais je t’appelle pour que tu ne t’inquiètes pas. - Oh, mais je ne m’inquièterai pas puisque tu me préviens... - Très bien chérie ! À ce soir !

Je rangeai mon portable l’esprit ailleurs ; il dépassait les bornes mais je devais tenir le coup. J’inspirais profondément et soufflais plusieurs fois de suite pour me calmer. J’avançai jusqu’à la grande porte, entrai, montai jusqu’au premier étage décidée à obtenir quelque renseignement. Des éclats de voix parvenaient à mes oreilles sans pouvoir les localiser. Une porte s’ouvrit d’un coup, un gamin de dix ou douze ans s’écria : « J’en ai marre d’aller au pain ! ». Puis il cracha par terre et dévala l’escalier. Je frappai à la porte de droite, attendis un peu, frappai à nouveau, pas un bruit ; idem à la troisième porte. Je m’avançai vers la dernière porte du palier quand je vis en sortir une jeune fille perchée sur des talons d’au moins dix centimètres, bas noirs et mini-jupe assortis à son chemisier décolleté qui laissait entrevoir une poitrine généreuse.

- Mademoiselle, s’il vous plaît, savez-vous où se trouve un certain Monsieur Pentu ? J’ai rendez-vous avec lui ; il est assez grand et porte un costume. Elle mâchouilla son chewing-gum, fit une grosse bulle qui éclata, avant de me répondre : - Je ne sais pas de qui vous voulez parler, les costard-cravate c’est pas mon trip et je ne suis pas le bureau des renseignements !

Elle descendit les marches en claquant des talons et en chantonnant. Je restai sans voix. Je descendis à mon tour, les idées embrouillées avec des questions sans réponses. Je regagnai ma voiture et démarrai vivement afin de me rendre au travail. Le boss n’était pas rentré, j’en profitai pour appeler Line et lui racontai l’histoire. - Marc te tromperait ? Alors là tu m’en bouches un coin ! Tu te fais des idées, t’as des preuves tangibles au moins ? - Non, mais si tu voyais son sourire le soir avant d’aller promener le chien, et crois-moi la balade dure bien plus longtemps ... - Pfff, penses-tu... Il s’est acheté une veste en lin ? Une nouvelle cravate en soie ? Bref, il a changé d’allure, de comportement ? - Ben non, mais... je ne sais pas, je n’en dors plus la nuit.

Line reprit : Alors pose lui directement la question, tu verras bien sa réaction…

La porte du bureau s’ouvrit, je raccrochai, c’était la standardiste qui tentait de me passer une communication. J’expédiai l’affaire vite fait au téléphone. Je restais dubitative et réfléchissais en classant mes dossiers. Je repensais à notre relation basée sur la confiance et le respect. Le soir, quand Marc rentrait du bureau, il m’embrassait, posait son attaché-case dans l’entrée, faisait des papouilles au chien et l’emmenait pour la promenade pipi ; puis chacun vaquait à ses occupations personnelles, lui sur l’ordi avec ses actions cotées en bourse et moi avec mon linge à étendre ou à repasser, un vrai plaisir : six minutes pour une chemise sans faux pli, c’était mon record. Donc, une soirée normale et banale en somme, c’était peut-être ça le problème justement. J’avais besoin d’air et Marc voulait en changer.

Le soir même, je me postai en face du bâtiment, vêtue d’un imper, d’un blue-jean et en baskets pour être plus à l’aise et moins reconnaissable. J’attendais, les yeux rivés sur la porte d’entrée, un jeune m’interpella. “Eh! S’te plaît m’dame, t’as pas une clope à m’ filer ?” Je lui présentais mon paquet de mentholées, “merci m’dame, cool !” puis il s’éloigna.

Comme la veille, la circulation était assez abondante. D’un seul coup, la porte s’ouvrit et j’aperçus Marc accompagné d’un homme jeune ; les deux riaient et lorsqu’ils tournèrent le coin de la rue, Marc lui passa la main dans les cheveux. Clouée sur place, je criai : Marc ! Maaaarc ! Trop de bruit dans la rue, il ne m’entendit pas et disparut. Je traversai aussi vite que je pus en évitant les automobilistes qui klaxonnaient. Je continuai dans la rue perpendiculaire, trop tard, j’eus à peine le temps de voir démarrer la voiture de Marc.

Essoufflée, choquée, mal à la tête, je fis demi-tour pour rentrer à la maison, le dos courbé, les mains dans les poches, penaude comme un gamin vexé d’avoir reçu une bonne gifle devant tout le monde. Je pris un cachet d’aspirine, me déshabillai et me fis couler un bain, incapable de faire quoi que ce soit d’autre. J’étais abattue, vidée, assommée. Après trente ans de mariage ! J’augmentai le chauffage, me glissai dans le bain chaud parfumé au jasmin et me mis à pleurer en fermant les yeux. J’étais presque bien, je voulais être tranquille. J’entendis les jappements du chien, Marc rentrait..

- Chérie ! Chérie où es-tu?

- Je prends un bain, chuchotais-je comme pour moi-même.

- J’ai quelque chose à te raconter, dit-t-il en haussant le ton. Ah ! Tu es là, fit-il en ouvrant la porte de la salle de bain, je vais t’apporter un verre de champagne rosé, tu veux bien ?

- Ah bon ? On fête ta relation avec ce jeune homme ? Je vous ai aperçus au bas de l’immeuble tout à l’heure, vous aviez l’air de bien vous entendre et ne me dis pas que ce n’est pas vrai !

- Je ne le nie pas, je vais t’expliquer si tu veux bien m’écouter, mais ce n’est pas facile, tu fais bien de me poser la question. Je vais être direct avec toi, je sais que tu préfères ; figure-toi qu’il y a trente ans, j’avais eu une aventure avec une certaine Hanna, mais c’était juste une aventure une aventure d’un soir, ça n’a jamais eu d’importance pour moi, d’ailleurs je n’ai pas eu de nouvelles et n’ai jamais cherché à en avoir à l’époque ; je savais seulement qu’elle faisait partie d’un groupe d’étudiants ukrainiens venus visiter Paris. Il y a deux mois environ, j’ai reçu un mail de l’académie des arts de Kiev me demandant si l’on pouvait recevoir trois étudiants dans le cadre de nos recherches et études sur l’architecture de nos monuments historiques. Nous avons accepté, tu penses bien... Tu viens au salon chérie ?

Le bain était tiède, je me séchai et m’enveloppai dans mon peignoir chaud et douillet et rejoignis Marc. Il me resservit un verre et mit dans le lecteur son CD préféré, puis il continua :

- Après plusieurs coups de fil, on m’a demandé de prendre rendez-vous avec un certain Stanislas, et ce qui est impensable, c’est qu’il a prétendu être mon fils ! Crois-moi, j’étais abasourdi ; il m’a demandé de faire un test ADN, ça m’ennuyait mais au moins tout serait clair. Je n’ai pu que me rendre à l’évidence, j’avais devant moi le fils d’Hanna donc mon fils.

- Quoi ?! Ton fils ?! Toi qui ne voulais pas d’enfant ? On croit rêver là...

- Je n’ai pas voulu t’en parler pour ne pas te peiner avant d’avoir les preuves de ma paternité.

- Peinée est un mot bien faible, je suis...abasourdie

- Je m’en doute Chérie, mais j’ai appris à le connaître, on a discuté, il m’a dit que sa mère était décédée. Alors voilà, j’ai pensé à une chose, c’est un jeune homme intelligent, bien dans

sa peau, gentil, il cherche un travail en France et comme Bernard part bientôt à la retraite, Stanislas Djan serait le bienvenu dans notre équipe, ah oui, Djan c’est Jean en français, Hanna lui avait donné mon deuxième prénom. Voilà chérie, c’est une belle aventure non ?

- Une belle aventure ?! Pour qui ? Tu plaisantes j’espère... Tu te souviens m’avoir dit que sans enfant, nous étions bien ; l’amour qui nous unissait se suffisait à lui-même, nous étions plus libres, sans contrainte... Tu étais tellement sûr de toi, tellement persuasif dans tes propos que par amour tu vois, j’ai tout accepté, et quand j’ai fait une fausse couche il y a dix ans, tu as cru me consoler en me répétant que c’était ennuyeux certes mais que je m’en remettrai, et puis c’était un peu trop tard...Tu n’as jamais perçu et encore moins compris ma souffrance et ma douleur d’avoir perdu ce bébé que j’aurais tant désiré. Sur ce, je te laisse méditer ; bonne nuit, je vais me coucher !

Je pris un somnifère et ne dormis jamais aussi bien que cette nuit-là. Soulagée qu’il n’ait pas de maîtresse, mais contrariée par ce fils tombé du ciel. Je ne desserrai pas les dents au petit déjeuner, laissai tout sur la table, enfilai mon imper, m’empressai de filer au bureau pour me confier à Line. Comme d’habitude, elle trouva plein d’excuses à Marc, je lui répondis, excédée :

- Mais enfin Line, tu connais mon histoire quand même ! tu ne te rends pas compte, c’est insupportable pour moi, ça va être invivable...

- Oh oh ! Écoute-moi un peu avant de crier, m’interrompit-elle, tu ne vas pas rayer tes trente ans de vie commune avec ton mari ? Ce n’est pas la fin du monde, s’il a été maladroit dans ses paroles à une certaine époque, il est comme beaucoup d’hommes, il ne l’a pas fait exprès, il a toujours été gentil et sincère, reconnais ses qualités et arrête de revenir en arrière tu te fais du mal et tu ne pourras rien y changer, tu le sais... ne pleure pas je t’ai à l’œil…

Elle me prit dans ses bras, ce fut pire, j’éclatai en sanglots.

Line reprit :

- Ecoute-moi, Marc ma appelée hier soir, il était décontenancé, perdu, malheureux il ne savait plus comment faire et s’en voulait terriblement de t’avoir blessée. Ne fiche pas tout en l’air sur un coup de tête, d’accord mon chou ? Allez, viens prendre un café avec moi.

Cette journée du 31 fut longue, pénible. Line n’avait pas réussi à me convaincre malgré sa bonne humeur. Elle n’était pas dans ma situation et ne pouvait pas me comprendre. Le soir même, Marc étant en rendez-vous d’affaires, c’est désœuvrée que je rentrai à la maison. Le chien me réclama sa sortie en aboyant, comportement plutôt inhabituel chez lui.

- Ha !! râlai-je, tu ne vas pas t’y mettre toi aussi !

Je sortis, pris le trottoir de gauche, remarquai une bande de jeunes déguisés avec des têtes de citrouilles, des masques hideux, costumés en sorcières et squelettes. Le chien tira sur sa laisse et s’échappa. Les jeunes se mirent à tourner autour de moi, me prirent la main pour m’entraîner dans une folle farandole en criant : “Halloween’ ! Halloween’ ! Si tu nous donnes pas de bonbons, on t’égorge comme un cochon !”

Un corsaire brandit un couteau, je pris peur, me mis à trembler, à crier, fermai les yeux, ressentis comme un coup de poignard dans le dos et tombai dans un trou noir.

Octobre 2012 - Atelier -

Nouvelle noire

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